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Le Carrosse inutile
de Jean Anouilh
Le soir du grand bal, la bonne marraine
Qui avait longtemps travaillé chez Dior,
Fit de deux chiffons une robe à traîne
D’un goût infini, toute brodée d’or.
Mais, entre sa machine à laver la vaisselle
Et son frigidaire, en son antre blanc,
La pauvre Cendrillon sanglotait de plus belle,
Dans sa belle robe, en se lamentant :
« Mes sœurs préférées ont une voiture,
Elles sont parties en quatre chevaux ;
Les taxis font grève ; avec ma coiffure
Et ma robe d’or, irai-je en métro ? »
« C’est bien, dit la fée, qu’à cela ne tienne ;
On n’a pas toujours fée comme marraine ;
Trouve une citrouille et dix-neuf souris ;
Ta dix-neuf chevaux, marque américaine,
Sera bientôt là. Maintenant, souris ! »
(Ravalant sa peine,
Cendrillon se fit un léger raccord,
Redevint jolie.) Mais ce qui fut fort
Ce fut, étant donné les progrès de l’hygiène,
De trouver dix-neuf souris dans le Seizième.
Il fallut aller jusqu’au quai aux Fleurs.
Pour la citrouille aussi on eut quelques malheurs.
Enfin on en trouva, Dieu merci, en conserve.
Une fée marraine, il faut que ça serve
Cendrillon partit, comblée, en voiture.
(On n’avait pas pu dénicher de rat :
Elle conduisait.) Mais, vers l’Opéra,
Commença bientôt l’affreuse aventure.
C’est très beau d’aller à un bal paré,
D’avoir tout ce qu’on pouvait désirer,
Une robe à traîne,
Une fée marraine
Des souliers dorés :
Il faut se garer.
La pauvre Cendrillon jusqu’à minuit sonnant
L’heure prévue, hélas ! pour le prince charmant,
Prise au labyrinthe sournois des rues obscures,
Tourna et retourna sans quitter sa voiture,
Sens interdit ; les clous ; jours pairs et jours impairs ;
En pleurs, son fard coulant, cernée par des patrouilles,
L’aube pointait, lorsqu’étouffant de gros sanglots,
Elle téléphona de Richelieu-Drouot
A sa marraine : « Rechangez-la moi en citrouille » !